De maux à mots

Comme le glas, sonne le temps, avide et perfide amant où la plume cédera sa place au clavier, magnétique aimant. C'est bien, la nuit souvent, que mes yeux se posent sur ce genre de choses. La nuit comme une loupe grossie les traits, fige les idées que l'on pose à vif, nue sur du papier. Il fût un temps où je me promenais, où mes pas allants à contre courant rencontraient fascinés les âmes des errants. Il fût un temps où je contrais le temps, l'eau, les éléments et regardait cette Garonne. Mais l'oeil s'habitue, les doigts s'engourdissent, les gestes desquels émanaient la beauté, devenaient redoutables embruns annonciateurs de lassitude.
Il fut un temps où nous étions des combattants de la pensée, chaque idée menée, défendue comme une victoire sur un assaillant invisible dont le souffle nous poursuivait, nous hantait. Chaque pas était comme une lutte sans fin vers cet idéal, notre utopique paradis, qui n'était attrayant que par son inaccessibilité. Nous avancions alors, nous avancions.

Paralysée par la situation, je me complais dans l'inaction.
En souffrance et solitaire les actes me pèsent, les mots me brûlent
Alternant effroyable lucidité, retranscrite en parole sombre
et réflexion intense, perforant mon esprit
Il ne semble y avoir dans ce chaos tournoyant aucune halte
Aucun oasis m'échappant de ma torpeur
Mon cœur se serre
Paralysée par l'action, la décision est un combat
En silence, la lutte est vaine
Rancœur et rage gonfle le sein des incompris
Rumeur d'orage au loin, murmure à la surface, la pluie
Elle n'est pas dévastatrice et ruisselante,
Ce n'est ni un torrent, ni un courant
Mais subtile et lancinante elle coule à peine perceptiblement
Tapisse les parois intérieures, et en rempli le fond
Paralysée par le froid, le vide, le mouvement ne s'impose pas
Les yeux clos sur le monde, n'empêchent pas les visions de passer
L'envie seule d'un autre motive un semblant d'humanité
Les frissons telle une vague submerge les inconscients
Révélant à leur visage, la solitude des sensations
De l'exigence naît l'excellence
L'œil fond sur sa proie, l'association est nette, dure
Le jugement sans appel, sans sursis l'on comprend l'irréversibilité des choses
Paralysée et sans peur, à l'intuition on se fit
L'inconnu devient ami quand la conscience nous nuis
Le futur devient possible quand le présent croule
Le poids de l'homme est lourd quand le cœur déborde
Les mots ennemis peuvent se révéler alliés quand sans un cri
Dans un sursaut de lucidité, l'on comprend l'essence bouleversante de l'amour dans son ironie féroce.

La déception rend amère, aussi forte que le café, c'est pas que je m'amuse quand je deviens soluble, c'est plus que j'en abuse de sensibilité

Il y a dans une vie, un moment où l'on né, un moment où l'on est, un moment où l'on sait. Le rythme de notre existence prends une tournure musicale, les paroles, les gestes, les odeurs une saveur nouvelle. Il y a un jour, où essoufflé, on arrête notre course. On s'arrête, et on ferme les yeux. Après tout pourquoi courrons-nous ? Pourquoi notre coeur se serre-t-il alors ? La vitesse nous éloigne de nous-même. A l'intérieur, pas d'horloge, pas de mécanisme, pas de crans, de certitude. Se trouve juste un liquide, une essence qui s'évapore, qui parfume ou prend feu, qui anime ou tue. Mouvants, fuyants, à l'intérieur, se sont nos maux qui se bousculent.

Cela fait-il une vie ou une année que tout semble avoir changé. Je ne me souviens plus exactement du temps qu'il faisait
Le temps ne nous attendra donc jamais. Cela fait-il une nuit ou une journée que tout s'est transformé
Les formes, les gens, où sommes-nous tous passés ? C'était hier qu'on se croisait ? C'était hier qu'on s'embrassait ?
Et aujourd'hui où en est-on ? Te reconnaîtrais-je, te regarderais-je ? Il me semble une éternité, une course effrénée. Il me semble le temps d'un soupir avoir voulu retenir des larmes, tes larmes. Il me semble la haine au bord du coeur, les mots bloqués dans la gorge. Il me semble la passion dans les yeux, les gestes des fous.

C'était hier le don de soi, le temps d'une caresse, le temps d'un regard. C'était sans crainte, et sans espoir, c'était sans rien un don de tout
C'était sans doute les plus beaux moments, ceux qui ne partageaient pas de doutes avoir le temps de vivre, le beau, et celui de se remettre du mal. Avoir pris le temps de toucher le visage, la main et de n'avoir pas détourné les yeux
C'était quand ? C'était où ?
Le temps passe sur ma vie.
Je suis partie, je t'ai laissé, j'ai lâché prise et pris mes distances
Je n'ai pas accepté, sans rien dire
J'ai parlé, j'ai dit, j'ai refusé le silence, j'ai opté pour la lutte
Contre des mots, des idées à renfort d'autres mots, d'autres idées...
On se sépare en une année, en une semaine, en une heure
Les deux âmes qui s'éloignent si rapidement, si violemment
Avaient mis des années, des semaines et des heures à tenter de se rapprocher
L'issue incertaine qui lient les âmes entre elles ne se joue qu'à un rien, qu'à un fil, une note
Une portée étrange, des conséquences insondables, des envies réticentes, des actes impardonnables
A quoi se jouent nos vies ?
Sur quelle musique vibre mes nuits ?
C'était il y a une vie ou une année, un bonheur ou une idée... au final juste une pensée améliorée, passée.

Je me retrousse les manches, musique enivrante, je cherche à nouveau cette transe, cette communion des sens et des mots. Au moment où vers New-York, mon esprit écrivait, c'est la fin des doigts... Je prenais la mesure d'une fin du monde en passant par là. Si mes doigts étaient ma vie, ce qu'il me faut pour tourner les pages de récits que je dévore, remplissant ainsi ma vie. Si mes doigts me servaient aussi à créer ce que je ne vois pas, à recréer ce que je vois mais qui ne suffit pas. Si mes doigts me servaient à dire ce que ma langue, trop pressée n'est pas capable de formuler.
Si mes doigts n'étaient pas là, quel manque de ne pouvoir les laisser trainer sur toi...

Nombreuses choses indépendantes les unes des autres et liées dans un effort commun, servant ma foi, servant ma vie, servant ma loi, servant délires et envies.
Quel est leur limite ? A quel endroit se coupe le fil invisible qui me ferait toucher la lune, en la pointant? A quel douleur s'apparenterait cette main tendue qu'on n'attraperait pas ? Est-ce que le coeur ne bats finalement que jusqu'au bout de mes doigts...

Arrivé au bout de leurs courses, c'est sur ce que j'écris que mes doigts se débarrassent de mes pensées, qu'ils relèguent aux autres la charge de porter mes mots, mes maux, à nouveau, par leurs yeux. C'est à l'ongle, sur le fil, le ciseau, coupera bien assez tôt, ce qui est de trop, qui dépasse, qui dérange, qui ronge, adoucir les angles...
Ce qui crisse sur les tableaux noirs, assombrit les idées.
Ce qui cache les yeux de l'horreur du monde, ce qui permet encore la surprise
La pause, gardant les yeux ouverts, quand on ne peut plus les fermer, seuls les doigts protègent encore. Agrippent, arrêtent, giflent, frappent, caressent, blessent, pincent, serrent, aiment, touchent, leur contact sur mon visage, mon corps, provoque toujours, toujours...
Plus mouvant, plus dérangeant, plus rapide, mais qui sert l'autre ?

Ma mémoire, mon passé, garant du futur, de mes capacités... Symbolique, harmonie, décadente, apoplexie puis plus rien.

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