Mal Aimée
Mal Aimée
Longtemps je me suis demandée de quel droit pourrais-je me plaindre, car dans la course au malheur, il y a surement pire que d'être mal aimée c'est de ne pas être aimée du tout.
Que malgré les maladresses, les manques, les faiblesses, les détresses, il y avait quand même de l'amour. Et peut être que j'occultais volontairement ce qui n'était pas pour ne voir que ce qui était, même si ce n'était pas assez. Un peu comme ces amoureux transi qui ornés de leurs œillères, refusent de blâmer, de voir la réalité.
Mais quand on se dit qu'il est possible d'être aimée sans être protégée, d'être aimée sans être défendue, d'être aimée mais injustement traitée. D'être mal aimée au fond. Une fois que cela est posé, on ne peut plus revenir en arrière et à nouveau couvrir nos yeux.
Il y a ce sentiment terrible de solitude, de trahison quand ceux qui nous aiment sont incapable de nous aider, de nous protéger. L'amour ne déplace pas des montagnes, ne vain pas le mal, l'amour devient alors l'instrument bien superficiel de l'expression de leurs propres émotions. J'ai été aimé, mais ce n'était pas suffisant car je n'ai jamais été en sécurité. Cet amour était vibrant et fort et démonstratif seulement si aucun obstacle, aucun doute ne venait obscurcir l'horizon. Un amour qui ne s’épanouit que dans la perfection pousse à l'intransigeance, au doute, au sentiment d'échec car cet idéal n'existe pas, car la vie monte des obstacles et c'est ainsi. J'ai grandi en étant certaine que je devais être parfaite pour être aimée, que je devais être discrète pour ne pas déranger, que je devais être reconnaissante comme si j'étais déjà endettée, une dette invisible que je ne connaissais pas, que je devais rembourser pour tous.
Malgré tout, je n'ai jamais réussi complètement, parce que ça bouillonnait en moi, ça débordait comme ça pouvait, ça poussait sous la peau, dans la chair, ça remplissait mes yeux de colère noire même lorsque ma bouche ne parlait pas.
J'en ai subi des traumas au nom de l'amour. L'alibi parfait de ceux qui camouflent leurs crimes, les romances, les enrobes pour mieux les nier. Ça a commencé par vouloir me posséder, m'utiliser, me manipuler. D'un amour naïf enfantin je me retrouve objet de désirs malsains, victimes d'abus. La tendresse est alors utilisée pour amadouer, puis pour rassurer afin de pouvoir assouvir ses pulsions, ses envies, ses désirs. Je me rends alors compte que l'amour et le désir sont deux choses différentes, l'amour et le pouvoir également, que la tendresse aussi peut être instrumentalisée. C'est là que je vois l'impuissance de l'amour même désintéressé et sensé être inconditionnel à me sauver, la trahison du silence imposé. Je comprends alors qu'il y a du danger à être aimée. Être l'objet de désir, d'amour, d'attention, c'est être exposée et le risque de souffrir encore, d'être jalousée et de ne pouvoir compter sur personne pour sauver sa peau.
En grandissant, comme une exploratrice j'ai cherché en dehors de mes proches, à expérimenter ces formes relationnelles que l'on appelle "amour". Il y a ceux qui ne respectent pas mes refus, en recherche d'une possession. Il y a ceux qui projette sur moi, une personne que je ne suis pas, reprochant mes limites à atteindre leur idéal. Il y a ceux qui veulent la fusion et que je fasse d'eux mon centre et mon monde. Il y a ceux pour qui je ne suffis pas, renforçant l'idée que je ne suis pas assez bien. Il y a ceux qui me jalouse et veulent avoir ce que j'ai ou être ce que je suis. Il y a ceux qui m'utilisent et me vampirisent. Dans toutes mes explorations, je n'ai que rarement senti l'amour confiance, l'amour sécurisant. Et dès que je voyais la limite, le danger, même lointain je partais et m'en éloignait sans regrets. Mais quand je l'ai vu, cet amour doux, confiant, entier, inconditionnel, je l'ai reconnu et aimé. Il ressemblait à celui que j'attendais enfant, à l'énorme différence près que je pouvais être et dire tout, qu'il me protégerait et sera là face à tout.
Je garde de cette insécurité fondamentale au fond de moi, le besoin d'exister, de me sentir aimable et aimée en étant moi. Chaque regard et parole trahissant cet amour, même d'un quasi inconnu me bouleverse, me surprends, me touche, m'apporte une bouffée d'air le temps d'une respiration. Longtemps j'ai lutté contre ça, contre moi, contre ce besoin dans un souci d'être parfaite et invisible. J'essayais de paraître normale, d'avoir les mêmes besoins que tout le monde.
Mais je ne suis pas tout le monde, je n'ai pas vécu la même chose que vous. Je n'ai jamais voulu ou choisi tout le mal et tout l'excès de violence. Alors si aujourd'hui je choisi au moins l'excès de tendresse, tant pis si ça déplait, si ça fait parler, si je suis celle qui est jugée. Tant pis si j'ai besoin de plaire, si j'ai besoin de me sentir unique et désirée par des personnes que j'estime, parce que pendant quelques temps je me sens en sécurité et forte.
Alors j'ai été Mal Aimée, marquée, contrainte et j'ai du mal à m'aimer sans que cela passe par le regard d'un autre que moi. Mais malgré ça, je n'ai jamais accepté et n'accepterai jamais de vivre dans l'insécurité en amour, je renierai toujours la violence en amour comme en amitié car au delà de ne pas le mériter, c'est qu'il ne faut pas le supporter.
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