La sensibilité et la colère
Ma sensibilité, c'est ce dont je ne m'excuse plus. Je ne suis plus désolée de ressentir et encore moins d'exprimer.
Je ne regrette plus mes colères, je ne regrette plus mes contrariétés, elles sont belles, nécessaires, vitales.
Il n'y a rien de normal, rien d'attendu, rien d'acceptable quand il s'agit de moi face au monde.
Dans mon quotidien, il y a ce que je vois et que je comprends des interactions et des relations sociales, des codes sociaux, des attendus en fonction des rôles, des situations, des hiérarchies, des affinités. Qu'il s'agisse des rôles que l'on prend ou de ceux qu'on nous attribue. Et puis... il y a moi.
Il y a moi qui suis et serai toujours à part, peu importe tous les efforts et les comportements semblables à ces codes sociaux. Il y a moi et les valeurs que tous disent avoir et défendre et puis qui me retrouve l'une des seules à les mettre en pratique et à me confronter aux contradictions des autres. Il y a moi et la colère de voir les gens passer leur vie à faire semblant d'incarner des idéaux qui sont les premiers à renier, en clamant l'inverse. Il y a moi et la colère de voir que le jeu de dupe fonctionne car tout le monde est ravi de le jouer.
Il y a la solitude de ne pas appartenir à ces codes, de ne pas en avoir envie, de ne pas m'y retrouver, d'être sans cesse déçue de voir le manque de courage à défendre ce qui est essentiel, ceux qui n'ont pas de voix, ceux qui ne comptent pas.
Tout ce qui peut m'arriver, tout ce que je peux vivre est moins grave quand ça me touche que n'importe qui d'autre. Quand la violence me touche, ce n'est pas le soutien mais le silence qui m'accompagne. Quand la maladie me heurte, ce n'est pas une épaule mais la gène que l'on me propose. Quand l'injustice règne et me désigne, c'est les regards qui se détournent plutôt que les voix qui s'élèvent. Quand la fatigue et l'énervement arrive, ce n'est pas la patience mais le jugement qui m'attends. Il n'y a pas de droit au faux pas, il n'y a pas de compassion, il n'y a que la solitude du roc qui s'est construit et qui tiendra droit face à tout dans les esprits. Je ne parle pas de ce que je ressens pour éviter la déception inévitable. Combien de fois j'ai entendu: "oh si j'avais su", "oh la prochaine fois tu peux me parler..." et combien de fois j'ai parlé sans être écoutée, j'ai dit sans être soutenue. Ce n'est pas que je n'ai pas besoin de vous, des autres, c'est que je n'ai pas le choix de devoir m'en passer.
Alors à défaut de parler, j'écris. Lira qui voudra, comprendra qui souhaitera, me parlera qui saura. Au moins, mon cœur ne verra pas les yeux se détourner, la gêne sur les visages et sentir ou subir les changements de sujet comme si je n'avais rien donné ou exprimé. Comme une parole perdue dans l'air, que l'on aurait pas entendu.
J'ai perdu des gens à rester fidèle à mes idéaux, à ne pas trahir mes paroles, j'ai perdu de l'argent, des opportunités, j'ai perdu des bouts de mon cœur et de mon cerveau, j'ai émietté mon corps qui me l'a bien rendu. Mais malgré tout, j'y ai plus gagné. J'ai rencontré des personnes dont l'esprit t'élève, dont l'amour fusionne et te renverse, dont les idées te donnent l'espoir et l'envie de vivre plus fort, plus loin, plus vrai.
Alors la colère, l'explosion pour enlever le vernis et toucher le bois brut, l'essence de l'être, les veines de la vie...qu'elle est belle cette colère.
Je vous embarrasse, je vous secoue, je vous fatigue et j'en suis fort aise. Parce que je suis peut être seule parfois mais je suis une alternative, je suis forte et fière et déterminée. Je n'ai pas besoin de me parer de grands idéaux, de clamer une sororité feinte, de vomir des relents racistes que j'entends, de m'offusquer de la violence ordinaire. Il y a les paroles et il y a les actes, il y a la vie et il y a l'inconnu et tant que je vis je saluerai encore ma colère, prouvant ma capacité à m'indigner et à ne pas être résignée.
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